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Prévention de la corruption : la France avance, l’Europe stagne ?

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​​​​​​​​​​​​​​​​​​publié le 30 octobre 2024 | Temps de lecture : 8 minutes

​Introduction

Afin de lutter contre la corruption, la France a su se doter d’un appareil préventif et répressif efficace, avec la création du Parquet national financier (le «​ PNF ») en décembre 20131, et la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (la < loi Sapin II »), qui a notamment institué l’Agence Française Anticorruption (l’« AFA »). Les rapports d’activité du PNF et de l’AFA pour l’année 2023 révèlent ainsi un bilan encourageant en la matière, notamment s’agissant de la mise en place par les entreprises de dispositifs de prévention et détection des actes de corruption et de la répression des infractions.
​​
Au niveau européen, la situation est plus contrastée. Le dispositif européen apparaît lacunaire et limité, surtout si l’on se réfère à la sophistication du droit de la concurrence européen. Un projet de directive vise toutefois à combler ces lacunes.


1. État des lieux sur la prévention et la répression de la corruption en France

1.1. Le rapport d’activité 2023 de l’AFA

1.1.1. Des progrès constatés

Le rapport d’activité de l’AFA pour l’année 2023, publié le 19 juillet 2024, constate de réels progrès en matière de prévention et de détection des faits de corruption et de trafic d’influence dans les entreprises. Les enquêtes de perception et les contrôles de l’AFA révèlent que les entreprises mettent en place des dispositifs préventifs de plus en plus robustes 2.

L’AFA constate également que l’amélioration des dispositifs s’est accompagnée, d’une manière générale, d’un engagement plus fort des instances dirigeantes, qui communiquent plus fréquemment leur engagement en matière de lutte contre la corruption et interviennent davantage dans la validation des mesures et dans le suivi du dispositif anticorruption.

Ce constat d’amélioration des dispositifs des entreprises se traduit dans les contrôles d’initiative de l’AFA, qui ont porté en 2023 sur plus d’acteurs publics (15, dont 13 contrôles initiaux et 2 contrôles de suite) que sur des entreprises (10 contrôles, dont 2 contrôles initiaux et 8 contrôles de suite). Ces statistiques pour 2023 s’inscrivent à l’inverse de celles pour la période 2017-2022, où 109 contrôles d’initiative ont visé des entreprises vs 69 contrôles visant des acteurs publics.

L’agence constate également que les poursuites extraterritoriales pour des faits de corruption transnationale visant des entreprises françaises sont < en net recul » 3.

Enfin, l’AFA est, depuis la loi du 21 mars 2022 visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte (« Loi Waserman »), l’autorité externe de recueil des signalements pour certains faits d’atteintes à la probité. Dans ce cadre, le nombre de signalements reçus par l’AFA a fortement augmenté en 2023, avec 435 signalements contre 304 en 2022. Parmi ces signalements :
  • 62% ont été considérés suffisamment sérieux et circonstanciés, contre 40% en 2022 ;
  • 36 % évoquaient de possibles atteintes à la probité et 12 % de possibles autres infractions (les autres signalements ne mettaient pas en évidence d’infraction suffisamment caractérisée).
Ces signalements peuvent conduire l’AFA à ouvrir des contrôles, être transmis à l’autorité judiciaire (ce fut le cas en 2023 pour 26 signalements) ou faire l’objet de transmissions administratives (23 signalements). Ils permettent également à l’AFA de mieux identifier les secteurs et activités à risque et d’orienter globalement ses contrôles (1 signalement reçu en 2023 conduit a ainsi conduit à l’ouverture d’un contrôle de l’AFA en 2023 et plusieurs autres signalements ont été pris en compte dans le cadre de contrôles en cours).


1.1.2.Les possibilités d’améliorations... et les inquiétudes

Ces progrès sont néanmoins tempérés par d’autres constats faits par l’AFA dans son rapport.

Même si, comme relevé précédemment, les dispositifs anticorruption des entreprises et des acteurs publics ont été amélioré, l’AFA constate quasi systématiquement lors des contrôles initiaux sur les entreprises l’existence de manquements à la loi. Les manquements les plus souvent constatés lors de ces contrôles concernent :
  • la cartographie des risques, notamment s’agissant de la délimitation du périmètre sur lequel porte la cartographie et de sa méthode d’élaboration
  • le code de conduite, avec des manquements résultant soit d’un contenu insuffisamment pertinent (notamment s’agissant des règles liées aux cadeaux et invitations), soit d’une absence d’intégration au règlement intérieur de l’entreprise
  • le dispositif de formation, en raison notamment de lacunes dans la méthode d’identification des personnels les plus exposés au risque de corruption et de trafic d’influence ;
  • le dispositif d’évaluation de l’intégrité des tiers, notamment parce qu’il ne couvre pas l’intégralité des catégories de tiers vises par la loi ;
  • les contrôles comptables et l’évaluation interne du dispositif des mesures mises en œuvre.
S’agissant de la compréhension du phénomène corruptif, l’AFA relève que La France stagne en 20e place de l’indice de perception de la corruption (IPC) publie par Transparency International, et que différentes enquêtes statistiques récentes montrent que le phénomène d’atteinte à la probité demeure prégnant en France et suscite une forte réprobation de la part des répondants.

Enfin, l’AFA, comme d’autres autorités publiques, s’inquiète du risque corruptif généré par la criminalité organisée. La corruption est jugée par la commission d’enquête sénatoriale relative à l’impact du narcotrafic en France et aux mesures à prendre pour y remédier comme l’un des phénomènes les plus préoccupants et sous-estimés. Les pratiques corruptives des organisations criminelles peuvent en effet viser tant les acteurs économiques (notamment les agents travaillant sur les plateformes portuaires et aéroportuaires ou les transporteurs) que les agents publics, y compris dans les administrations régaliennes.

1.2. La synthèse 2023 du PNF

Le Parquet national financier s’est imposé en dix ans comme une instance majeure en France de la lutte contre la grande délinquance économique et financière, qui inclue les atteintes à la probité. Son document de synthèse de son activité pour l’année 2023, qui tire un bilan de ses dix ans d’activité, apporte plusieurs éclairages intéressants s’agissant de la répression de ces infractions :
  • Sur les 781 procédures traitées par le PNF en 2023, 370 (soit près de la moitié) sont relatives à des atteintes à la probité. Les condamnations prononcées en première instance pour des atteintes à la probité représentent 19% des condamnations en 2023 (21 sur 111), et 24% des condamnations entre 2014 et 2023 (129 sur 532).
  • Le montant total des sommes prononcées en faveur du Trésor Public depuis 2014 dans le cadre de procédures suivies par le PNF s’élève à 12,3 milliards d’euros (amendes, confiscations, dommages-intérêts pour l’Etat et redressements fiscaux connexes prononcés). Le détail des sommes recouvrées dans le cadre de contentieux liés aux atteintes à la probité n’est toutefois pas précisé.
  • Depuis octobre 2017, 20 CJIP ont été conclues par le PNF, dont 5 en 2023 en matière de corruption. Le montant total des amendes d’intérêt public prononcées pour ces 20 CJIP s’élève à 3,98 milliards d’euros. Jean-François Bohnert, chef du PNF, met d’ailleurs en avant la dimension double de cet instrument, répressif par le montant des amendes prononcées et préventif par la mise en œuvre d’un programme de conformité anticorruption au sein de l’entreprise.
Ces résultats prometteurs pour la France mettent en évidence l’absence de cadre européen en matière de lutte contre la corruption.


2. L'absence de cadre européen efficace

Contrairement au respect de la libre concurrence, la lutte contre la corruption ne figure pas parmi les objectifs initiaux de l'Union européenne et n'est apparue que progressivement dans les textes européens, à partir du milieu des années 19904.


Actuellement, le droit de l'Union européenne aborde les situations de corruption essentiellement au moyen de trois textes :

  • Une convention du 26 mai 1997 relative à la lutte contre la corruption impliquant des fonctionnaires des Communautés européennes ou des fonctionnaires des États membres de l'Union européenne, limitée comme l'indique son titre aux fonctionnaires (notion plus restrictive que celle d'agent public) des seuls Etats membres de l'UE (excluant donc les fonctionnaires d'Etats tiers) ;
  • Une décision cadre 2003/568/ JAI du 22 juillet 2003 relative à la lutte contre la corruption dans le secteur privé. Cette décision cadre, transposée en France aux articles 445-1 et suivants du Code pénal, demandait notamment aux États membres de mettre en place des sanctions efficaces et proportionnées en cas d'acte de corruption de la part de personnes privées5,
  • La directive (UE) 2017/1371 du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2017 « relative à la lutte contre la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union », qui n'appréhende que les situations de corruption de fonctionnaires de l'Union européenne (ou d'agents publics mais uniquement lorsque la corruption porte atteinte aux intérêts financiers de l'Union européenne).

Toutefois, un projet de législation harmonisé en matière d'anticorruption est à l'étude au niveau européen. Le 14 juin 2024, le Conseil de l'Union européenne a ainsi publié une orientation générale sur une directive relative à la lutte contre la corruption, qui viendrait modifier la directive de 2017.

L'objectif principal consisterait à dégager un texte unique pour remplacer les textes européens existants en la matière et adopter une définition commune des actes de corruption dans le secteur public et privé.

Un certain nombre de mesures phares pourraient être insérées dans la directive, et notamment :


  • Une définition harmonisée des infractions pénales : tous les pays de l'UE seront tenus d'ériger en infractions pénales les mêmes actes de corruption et de les définir de la même manière. Les infractions suivantes seront désormais, dans l'ensemble de l'UE, passibles de sanctions en tant qu'infractions pénales :

- corruption dans les secteurs public et privé
- détournement, trafic d'influence,
- entrave au bon fonctionnement de la justice et
- enrichissement lié aux infractions de corruption.

  • ​​​Des sanctions pénales effectives, proportionnées et dissuasives pour punir ces infractions pénales : ​
- Pour les personnes physiques : une peine d'emprisonnement d'au moins deux à quatre ans, en fonction de l'infraction, avec des peines complémentaires telles que des amendes, la révocation d'un mandat public, la déchéance du droit de détenir un mandat public ou d'exercer une fonction de service public, le retrait de permis et l'exclusion de l'accès aux procédures d'appel d'offres et aux fonds publics.
- Pour les personnes morales : des amendes d'un montant maximal compris être 3% et 5% de leur chiffre d'affaires mondial total, ou d'un montant correspondant d'au moins 24 ou 40 millions d'euros, en fonction de l'infraction.

  • En matière de compétence, chaque État membre serait compétent à l'égard des infractions commises sur son territoire lorsque l'auteur de l'infraction est l'un de ses ressortissants. Chaque État pourrait néanmoins décider d'étendre sa compétence à l'encontre d'infractions commises hors de son territoire en présence d'un lien de rattachement à celui-ci.
  • ​Les États membres devront prendre des mesures préventives afin de sensibiliser l'opinion publique au préjudice causé par la corruption, ainsi que pour garantir la transparence et le respect de l'obligation de rendre des comptes dans l'administration publique. Les Etats membres devront mettre en place des organismes chargés de la prévention et la répression de la corruption.

Le Conseil et le Parlement européen doivent désormais entreprendre des négociations pour parvenir à un accord sur le texte législatif 6.​​

Conclusion

Les avancées françaises en matière de prévention et de répression de la corruption mettent en lumière la faiblesse du cadre européen dans ce domaine. Cette lacune est particulièrement évidente si l’on se réfère au référentiel anticorruption américain, dont l’efficacité permet aux autorités américaines de prononcer des amendes records, souvent à l’encontre d’entreprises européennes.

Or, l’Europe, quand elle le souhaite, sait adopter des réglementations pertinentes et performantes. On pense notamment au RGPD, en matière de protection des données personnelles, et bien sûr au droit européen de la concurrence. Son efficacité a encore été illustré par les décisions de la Cour de justice de l’Union européenne du 10 septembre 2024 à l’encontre des sociétés Google (amende de 2,4 Md€ pour abus de position dominante, pour avoir favorisé son système de comparaison de prix Google Shopping dans les résultats de son moteur de recherche) et Apple (condamnation à rembourser Md€ d’aides d’État injustifiées à l’Irlande).

On peut néanmoins se demander si le contexte économique et politique actuel, avec le renforcement d’une majorité conservatrice au Parlement européen depuis les élections européennes de juin 2024, et les inquiétudes soulevées dans le rapport Draghi quant à l’impact d’une « sur-réglementation » sur la compétitivité européenne, sont de nature à favoriser à l’adoption prochaine de la directive sur la prévention de la corruption.​


1 Loi n°2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière

2 Rapport annuel d'activité 2023, publié le 19 juillet 2024 (https://www.agence-francaise-anticorruption.gouv.fr/fr/rapport-dactivite-2023-lafa-est-disponible), p. 1.

3 Selon l'AFA, 5 entreprises françaises ont été poursuivies ou condamnées par la justice américaine pour des faits de corruption d'agent public étranger entre2016 et 2021.​

4 « ​Pour un droit européen de la compliance », Groupe de travail présidé par Bernard Cazeneuve, Club des juristes, nov. 2020, p. 119 à 123.

5 Il n'est plus possible d'adopter des décisions-cadres depuis l'entrée en vigueur du traité de Lisbonne de 2009.

6 https://www.consilium.europa.eu/fr/press/press-releases/2024/06/14/combatting-corruption-council-adopts-position-on-eu-law/

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