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Flambée du prix des matières premières : quels remèdes juridiques pour les opérateurs économiques pour faire face aux difficultés induites par la hausse des prix ?

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Le secteur de l'industrie est confronté aujourd'hui à une hausse concomitante du coût des matières premières agricoles et industrielles, de l'énergie et du coût du transport.Or, ces hausses de prix, auxquelles sont confrontées les entreprises des secteurs de l'industrie, du bâtiment ou encore de l'agroalimentaire - à défaut d'être répercutées par effet miroir sur leurs clients et leurs partenaires -sont de nature à impacter sérieusement leurs marges.

 
La promulgation de la loi n° 2021-1357 du 18 octobre 2021 visant à protéger la rémunération des agriculteurs, dite Egalim 2, dont le champ d'application est limité aux produits alimentaires et ceux destinés à l'alimentation des animaux, rappelle l'acuité du sujet en prévoyant un dispositif complexe.
 
Nos propos se concentreront ici sur les produits n'entrant pas dans le champ d'application de cette dernière loi.
 
Si invoquer la force majeure est l'un des premiers réflexes (ce qui nécessite que les critères d'application soient réunis), il est important de souligner que ce mécanisme n'autorise en principe qu'une suspension dans l'exécution des obligations contractuelles de celui qui s'en prévaut durant l'évènement qualifié de force majeure, sauf aménagement contractuel particulier prévu par les parties.
 
Quels sont dès lors les remèdes juridiques à disposition des opérateurs économiques?
 

Le premier réflexe du fabricant/ fournisseur pourrait être de répercuter automatiquement sur ses clients /filiales de distribution et sans aucune analyse préalable les hausses subies.

 

Est-ce une bonne idée?

 
Sans traiter de façon exhaustive le sujet, il apparaît d'ores et déjà qu'une telle pratique est risquée. Il apparaît en effet que si cette augmentation tarifaire est imposée unilatéralement et sans préavis ou sans préavis suffisant, cette mesure pourrait s'analyser en une « rupture » de la relation commerciale existante et entraîner la responsabilité de son auteur en application de l'article L.442-1, II du code de commerce pour rupture brutale des relations commerciales établies.
 
Rappelons que L.442-1, II du code de commerce dispose que : « engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, en l'absence d'un préavis écrit qui tienne compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels. »
 
De jurisprudence constante, constitue une rupture brutale de la relation commerciale établie l'augmentation unilatérale non négociable, sans préavis et disproportionnée, des tarifs jusqu'alors consentis à un partenaire commercial (Cass. com., 6 nov. 2012, n° 11-26.554 ; CA Paris, pôle 5, ch. 5, 17 janv. 2019, n° 16/23339).
 
A pu être ainsi sanctionné sur le fondement de l'ancien article L442-6 ( désormais L442-1, II) du code de commerce le fournisseur qui a réalisé une hausse inopinée et importante de ses prix, dès lors que le distributeur a été placé dans l'impossibilité de répercuter cette hausse sur ses propres acheteurs (CA Dijon, 4 décembre 2007, RG n°06-02172).
 
Ainsi, dès lors qu'une modification unilatérale des prix peut constituer une rupture de relation commerciale, il appartiendra à ceux qui veulent emprunter cette voie, plutôt que celle de la négociation, de prendre quelques précautions : l'application de la hausse des prix devra être reportée à l'expiration d'un délai de préavis raisonnable pour permettre à celui qui la subit de trouver une alternative sur le marché.
 
Si le sujet de la rupture brutale des relations commerciales est moins prégnant dans le cadre de relations intra-groupe, l'imposition d'une hausse tarifaire décidée par la maison mère à l'égard de sa filiale reste un sujet à analyser. Dans ce domaine (relation mère-filles), il n'est pas rare d'intervenir après que la société-mère ait décidé d'augmenter ses prix avec effet immédiat pour préserver ses propres marges, omettant ce faisant le rétrécissement consécutif de la marge de sa filiale de distribution qui sera quant à elle dans l'impossibilité (sauf clauses d'indexation, renégociation etc.) de répercuter à l'égard de clients extérieurs au groupe la hausse tarifaire subie. Et que dire si du fait de cette hausse tarifaire, la filiale de distribution se retrouve à vendre ses produits en deçà du seuil de revente à perte ?
 
Il est évident que ces décisions prises au niveau du groupe nécessitent de prendre du recul, eu égard aux importantes interrogations qu'elles soulèvent en matière de prix de transfert.
 
Ainsi, pour une filiale de distribution ayant un certain degré d'autonomie dans le groupe et dont le niveau de marge dépend directement du coût d'achat des matières premières au groupe, la répercussion des telles hausses de prix sans laisser la possibilité à la filiale de négocier ou même de s'approvisionner ailleurs pourrait sérieusement remettre en cause l'autonomie supposée de cette dernière.
 
Ce sujet ne concerne pas toutes les filiales de distribution et dépend de la politique de prix de transfert retenue pour le flux concerné et du profil fonctionnel de la filiale de distribution.
 
Toutefois, les groupes qui considèrent leurs filiales de distribution comme autonomes - ce qui implique notamment la possibilité pour ces filiales de réaliser des pertes - devraient s'interroger sur la cohérence de leur politique de prix de transfert en cas de répercussion automatique des hausse de prix.
 
Pour qu'elle soit considérée autonome, la filiale de distribution devrait pouvoir se comporter comme tout autre opérateur de marché, indépendant au groupe considéré. Or, il apparaît immédiatement que les critères ne seront pas – dans la majorité des cas remplis :
  • La filiale de distribution peut-elle invoquer à l'égard de société mère une rupture brutale de relations commerciales établie ? Si légalement, rien ne s'oppose à l'application de l'article L442-1, II du code de commerce, il est évident que dans la pratique cet argument ne sera jamais soulevé.
  • La filiale de distribution peut-elle se plaindre d'une hausse tarifaire décidée par sa société mère non seulement unilatéralement mais de façon rétroactive de surcroît, c'est-à-dire prenant effet au jour du constat de l'augmentation significative du prix des matières premières ? Là encore, dans bien des situations, la filiale de distribution n'aura guère son mot à dire par rapport à une politique tarifaire décidée au niveau du groupe.
    Et pourtant, si cette société était autonome, il est fort à parier qu'elle s'appuierait sur les articles L.442-1 ou L.442-3 du code de commerce pour contester la mesure prise.
 
L'article L.442-1 du code de commerce précise ainsi pour sa part :
 
« I. - Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, dans le cadre de la négociation commerciale, de la conclusion ou de l'exécution d'un contrat, par toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services :
 
1° D'obtenir ou de tenter d'obtenir de l'autre partie un avantage ne correspondant à aucune contrepartie ou manifestement disproportionné au regard de la valeur de la contrepartie consentie ;
 
2° De soumettre ou de tenter de soumettre l'autre partie à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ; »
 
Quand l'article L.442-3 énonce pour sa part :
 
« Sont nuls les clauses ou contrats prévoyant pour toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services, la possibilité :
a) De bénéficier rétroactivement de remises, de ristournes ou d'accords de coopération commerciale ;
 
b) De bénéficier automatiquement des conditions plus favorables consenties aux entreprises concurrentes par le cocontractant ;
 
c) D'interdire au cocontractant la cession à des tiers des créances qu'il détient sur elle.
 
Il convient de rappeler que les sanctions prévues pour le non-respect de ces articles sont très importantes puisqu'outre la réparation des dommages subis par la partie lésée, le Ministre de l'économie peut demander le prononcé d'une amende civile dont le montant ne peut excéder le plus élevé des trois montants suivants :
  • cinq millions d'euros ;
  • le triple du montant des avantages indument perçus ou obtenus ;
  • 5 % du chiffre d'affaires hors taxes réalisé en France par l'auteur des pratiques lors du dernier exercice clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre.

Si là encore ces articles peuvent théoriquement s'appliquer dans les relations intra-groupe (rappelons que l'article L.442-1 du code de commerce a été reconnu comme une loi de police), il est évident que la filiale de distribution - qualifiée d'autonome - ne mettra pas en œuvre ces moyens légaux pour contrer une telle hausse, contrairement à un opérateur tiers qui ne manquera pas de faire valoir ces arguments pour s'opposer à une telle augmentation tarifaire, mise en œuvre de façon potestative, sans préavis, sans négociation préalable et qui plus est rétroactive !

 
Dans ces conditions, l'autonomie de la filiale de distribution semble sérieusement remise en cause ce qui pourrait avoir des conséquences fiscales notamment si cette dernière venait à faire des pertes en France.
 

Comment en effet justifier alors la réalisation de pertes liées à la hausse tarifaire si la filiale n'avait en réalité aucun levier pour les éviter ?

 
Dans une telle situation, l'administration fiscale pourrait remettre en cause le caractère autonome de la filiale française et au contraire conclure à un profil fonctionnel limité excluant la possibilité de faire des pertes. Rappelons que les administrations fiscales attendent en général que les structures à profils fonctionnels limités et ayant peu d'autonomie réalisent des résultats certes faibles mais stables et positifs, sauf cas particulier.

 

> Le second reflexe sera de se prévaloir d'une clause d'indexation ou d'imprévision.

Si des clauses de révision de prix ou des clauses d'indexation sont prévues au contrat, il conviendra de veiller à leur bonne application.
 
A défaut de l'existence d'une telle clause, fournisseurs et fabricant pourront toujours décider d'insérer une telle clause pour l'avenir. A cet égard, il sera vivement conseillé de se saisir de l'opportunité  de la période des négociations commerciales qui se sont récemment ouvertes - lesquelles doivent déboucher, rappelons-le, sur la conclusion d'une convention unique avant le 1er mars 2022 - pour réviser leurs conditions générales de vente et introduire ce dispositif.
 
La clause d'indexation, pour s'appliquer, nécessite d'être rédigée de manière claire.
 
Concernant le choix de l'indice de référence, il se fera en fonction du secteur d'activité. Toute indexation fondée sur le niveau général des prix ou des salaires, ou sur le prix des biens, produits ou services n'ayant pas de relation directe avec l'objet du contrat ou avec l'activité de l'une des parties est interdite. (CMF art. L.112-1).
 
De plus, la rédaction de la clause doit intégrer la limite posée par l'article L. 442-1, I, 2 du code de commerce qui sanctionne le fait « de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ». Les clauses de révision de prix doivent être réciproques, à la hausse et à la baisse notamment. A défaut de pouvoir se prévaloir d'une clause d'indexation, rappelons qu'il est toujours possible pour l'un ou l'autre des cocontractants d'invoquer utilement l'imprévision (sauf clause du contrat excluant un tel mécanisme), consacrée à l'article 1195 du code civil, afin d'inviter à renégocier les conditions financières du contrat.
 
En effet, l'article 1195 du code civil dispose que « Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation ».
 
Néanmoins, en cas de refus ou d'échec de la renégociation, les parties peuvent seulement convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu'elles déterminent, ou solliciter d'un commun accord l'adaptation du contrat par le juge.
 
L'article 1195 du code civil étant rédigé dans des termes imprécis l'insertion au contrat d'une clause dite de hardship sera vivement recommandée. Cette clause devra ainsi préciser la notion « d'exécution excessivement onéreuse » et les risques acceptés par les parties au moment de la conclusion du contrat, afin d'éviter toute discussion contentieuse quant à la qualification de l'imprévision ou  préciser les modalités de sortie du contrat. Néanmoins, les parties devront réfléchir quant à  l'opportunité ou non d'insérer une telle clause, qui devra être adaptée à l'activité du vendeur.
En réalité, il apparaît plus que jamais que la question de la hausse du prix des matières premières est un sujet dont doivent s'emparer les directions juridiques et fiscales.

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