Nous utilisons nos propres cookies et ceux de tiers à des fins statistiques et d'amélioration du site web. Veuillez sélectionner ci-dessous les cookies que vous souhaitez accepter ou refuser. Si vous poursuivez votre navigation sans sélectionner de cookies, cela équivaut à refuser les cookies. Pour plus d'informations, veuillez consulter notre politique de confidentialité.



Entreprises et respect de la règlementation – notamment de compliance : le risque ou l’opportunité de la concurrence déloyale

PrintMailRate-it

​​publié le 6/11/2024 - temps de lecture: 4 minutes​​​​​​​​​​​​​

D'origine prétorienne, le régime de la responsabilité pour concurrence déloyale a des contours mouvants qui ne cessent de s'étendre par le truchement de la jurisprudence et notamment de la Cour de cassation. Il résulte d'un courant jurisprudentiel désormais bien ancré et régulièrement illustré, que le manquement d'une entreprise à une règlementation impérative peut servir de fondement à une action en concurrence déloyale (1). 

Allié à une jurisprudence par ailleurs très favorable aux victimes d'actes de concurrence déloyale quant à la preuve de leur préjudice, ce courant jurisprudentiel fait peser un risque de contentieux accru sur les entreprises ou, selon le cas, leur ouvre des perspectives d'actions contre leurs concurrents (2).​


S_B26166925.jpg 

 1. Le non-respect de la règlementation comme fondement à l'action en concurrence déloyale


La Cour de cassation a pu juger dès 1984 que l'exercice d'une profession règlementée, en l'occurrence celle de taxi, sans les autorisations administratives nécessaires, était constitutif d'un acte de concurrence déloyale (Cass. com., 16 mai 1984, n° 83-11.678, solution appliquée plus récemment par la Cour d'Appel de Paris à la société UBER concernant son service « UBER POP » : CA Paris, 4 Octobre 2023 – n° 21/22383).


Depuis, la Cour de cassation comme les juridictions du second degré, jugent régulièrement que le non-respect par une entreprise d'une règlementation applicable dans le cadre de son activité commerciale, constitue un acte de concurrence déloyale.  Tel a été le cas notamment dans l'hypothèse de violation de la règlementation relative :

  • aux périodes de soldes (Cass. com., 18 oct. 1994, n° 92-21.087) ;
  • aux autorisations de mise sur le marché des dispositifs médicaux (Cass. Com.,18 avril 2000, n° 98-12.719) ;
  • à la rémunération pour copie privée prévue dans le code de la propriété intellectuelle (Cass. 1ère Civ., 27 novembre 2008, n°07-15.066) ;
  • au permis de construire (Cass. Com., 19 juin 2001 - n° 99-15.411) ;
  • au taux de TVA applicable (CA Lyon, 31 Janvier 2008 n° 06/05922) ;
  • aux pratiques commerciales trompeuses ((Cass. com., 28 sept. 2010, n° 09-69.272 ; CA Paris, 21 mai 2014, n° 12/01417) ;
  • à la reprise des actifs d'une société en liquidation judiciaire (Cass. Com., 17 mars 2021, n°19-10.414).

Plus récemment, dans un arrêt du 27 septembre 2023, la Cour de cassation a étendu ce principe à un pan réglementaire en plein essor en France comme ailleurs dans le monde, qui est la « compliance » et plus particulièrement les règles relatives à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (dit « LCB-FT ») visées aux articles L. 561-1 et suivants du code monétaire et financier (Cass. com., 27 sept. 2023, n° 21-21.995).

 

Tel qu'explicité de manière limpide dans ce dernier arrêt, le raisonnement développé par la Cour de cassation en deux temps est le suivant :

  • Le respect par une entreprise de la règlementation (ici les obligations imposées aux articles L. 561-1 et suivants du code monétaire et financier en matière de lutte LCB-FT), engendre nécessairement pour elle des coûts supplémentaires ;​
  • Ainsi, le fait pour un concurrent de s'en affranchir confère à celui-ci un avantage concurrentiel indu, qui peut être constitutif d'une faute de concurrence déloyale.

Cette solution, qui fait preuve d'une logique implacable, à donc vocation à s'appliquer à toutes les règlementations auxquelles sont soumises les entreprises.


Si les actes de concurrence déloyale peuvent ainsi être facilement matérialisés, l'introduction d'une action indemnitaire suppose encore de pouvoir démontrer l'existence d'un préjudice. Or l'analyse de la jurisprudence en la matière montre que celle-ci est de plus en plus favorable aux victimes. ​


​2. La preuve facilitée du préjudice résultant d'actes de concurrence déloyale par violation de la loi ou du règlement

La concurrence déloyale étant sanctionnée sur le fondement de la responsabilité civile délictuelle (article 1240 du code civil), la victime des agissements déloyaux doit donc en principe établir l'existence d'un préjudice, son étendue, puis son lien avec les actes de concurrence déloyale commis.


La Cour de cassation allège toutefois quelque peu le fardeau probatoire des victimes puisqu'elle juge de longue date qu'il « s'infère nécessairement » un préjudice en présence d'actes de concurrence déloyale (Cass. Com.,22 Octobre 1985, n° 83-15.096), « fût-il seulement moral » (Cass. Com., 11 janvier 2017, n° 15-18.669). Ainsi, la Cour a dégagé une véritable présomption de préjudice dès lors que la preuve des actes de concurrence déloyale est rapportée.


Si le principe du préjudice est automatique admis, son étendue doit encore être prouvée, ce qui n'est de prime abord pas toujours chose aisée en matière de concurrence déloyale.


Or, la Cour de cassation est venue à nouveau faciliter la tâche des victimes en proposant une méthode de calcul reposant sur l'appréciation chiffrée de l'avantage indu – soit l'économie réalisée - retirée par l'auteur des agissements (Cass. com., 12 février 2020, n° 17-31.614 – arrêt dit « Cristal de Paris »). Elle juge ainsi que, s'agissant de la concurrence déloyale par violation de la loi, « la réparation du préjudice peut être évaluée en prenant en considération l'avantage indu que s'est octroyé l'auteur des actes de concurrence déloyale, au détriment de ses concurrents, modulé à proportion des volumes d'affaires respectifs des parties affectés par ces actes ».


Le cas d'espèce concernait deux sociétés concurrentes dans le domaine de la fabrication et la vente de produits en cristal. Une société était accusée par son concurrent d'avoir trompé le consommateur sur la composition, l'origine et les qualités substantielles des produits vendus, en particulier une usurpant la mention « made in France », s'assurant ainsi un avantage concurrentiel au préjudice de son concurrent respectant la règlementation applicable. La Cour d'appel avait ainsi pu relever que les pratiques commerciales trompeuses avaient permis au concurrent indélicat d'obtenir des prix de revient beaucoup plus bas et et qu'elle pouvait ainsi affecter un seul employé à la production de la gamme de produits concernée​, là où le concurrent victime en employait huit. L'économie salariale réalisée par le premier concurrent a été chiffrée à 300.000 euros, montant que ce dernier a été condamné à payer à la victime demanderesse à l'action.


Reste que cette méthode d'évaluation, si elle a l'avantage d'exister, n'est pas forcément aisée à mettre en œuvre. Les parties auront beau jeu de discuter âprement le chiffrage des coûts directement liés au respect de la règlementation concernée et du montant des avantages indus effectivement perçus par l'auteur des agissements déloyaux. La victime de concurrence deloyale n'a en effet par nature pas accès à la documentation commerciale de son concurrent pour caractériser et chiffrer les avantages indus perçus par lui.


Afin de parer à cette difficulté, l'entreprise qui dispose d'ores et déjà d'un faisceau d'indices de concurrence déloyale à l'encontre d'un concurrent pourra opportunément saisir le juge, par voie de requête sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, et donc à l'insu du concurrent. Cette procédure permet de solliciter notamment la nomination d'un commissaire de justice – éventuellement accompagné d'un expert informatique - avec pour mission de se rendre chez le concurrent et d'effectuer des copies de documents, fichiers et emails pouvant caractériser les manquements commis et l'étendue du préjudice engendré.


C'est au demeurant dans le contexte de cette procédure que la Cour de cassation a pu juger, tel qu'indiqué ci-avant, que des manquements à la règlementation LCB-FT constituaient un motif légitime à la mise en œuvre de mesures d'instruction (Cass. com., 27 sept. 2023, n° 21-21.995).


Alternativement, si la priorité de l'entreprise victime est la cessation des agissements déloyaux commis à son encontre, elle pourra saisir le juge par voie de référés afin de solliciter la condamnation du concurrent fautif à cesser les pratiques litigieuses sous astreinte journalière. Elle aura alors le loisir dans un second temps de saisir le juge du fond pour solliciter l'indemnisation du préjudice subi, en demandant au besoin l'ouverture d'une expertise pour chiffrer avec précision l'étendue de son dommage.​


Conclusion

On peut voir que le gisement du contentieux de la concurrence déloyale, n'a en réalité de limite que l'étendue de la règlementation mise à la charge des entreprises.


Il en résulte un risque de contentieux réel pesant sur les acteurs économiques qui, face à la multiplication croissante des règles, rencontrent souvent des difficultés à systématiquement les appliquer.


A moins que cela soit perçu comme une opportunité pour certaines entreprises souhaitant régler leurs comptes avec quelques-uns de leurs concurrents.​

Contact

Contact Person Picture

Fabien Stade

Avocat

Manager

+33 6 74 89 45 85

Envoyer la demande

Contact Person Picture

Julia Planty

Avocate

Partner

+33 6 42 95 23 35

Envoyer la demande

Deutschland Weltweit Search Menu