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Conformité aux règles de concurrence: un « nice-to-have » ou une réelle obligation pour les entreprises? Réflexions à la suite de la récente décision « produits préfabriques en béton »

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​​​​​​​​​​​​​​​​​​publié le 30 octobre 2024 | Temps de lecture : 10 minutes

Introduction

Depuis sa création, l'Autorité de la concurrence, qui a succédé au Conseil de la Concurrence en 2008, a infligé plus de 9 milliards d'euros de sanctions contre des pratiques anticoncurrentielles. Force est de constater que ces pratiques perdurent dans un certain nombre de secteurs, comme en témoigne la récente décision de sanctions dans le domaine des produits préfabriqués en bétons concernant 11 entreprises pour un montant total de 76,6 millions d'euros en date du 21 mai 2024.


Cette décision réactualise la question de la conformité aux règles de concurrence, et la mise en place de programmes adéquats, au sein des entreprises (« compliance antitrust »).


On se souvient en effet que l'Autorité de la Concurrence (« l'Autorité ») avait publié le 10 février 2012 un document-cadre incitant les entreprises à développer la prévention des infractions aux règles de concurrence, et qu'elle avait utilisé la « carotte » de la réduction d'amende (avec un maximum de 10%) pour les entreprises qui acceptaient de mettre en œuvre un tel programme à la suite d'une décision de sanction.


Cette incitation a pris fin en 2017 dans le cadre de l'affaire « revêtements de sols en PVC et linoléums » à l'occasion de laquelle l'Autorité, après avoir sanctionné très lourdement les entreprises concernées (montant total de l'amende de 302 millions d'Euros), a considéré que « l'élaboration et la mise en œuvre de programmes de conformité ont vocation à s'insérer dans la gestion courante des entreprises, particulièrement lorsque celles-ci sont de taille conséquente. Les engagements portant sur la mise en œuvre de tels programmes de conformité n'ont par suite, pas vocation, de façon générale, à justifier une atténuation des sanctions encourues au titre des infractions au droit de la concurrence, tout spécialement s'agissant d'infractions d'une particulière gravité telles que les ententes et échanges d'informations sur les prix futurs et la politique commerciale ».


L'Autorité a ensuite publié le Document-cadre du 24 mai 2022 sur les programmes de conformité aux règles de concurrence, qui présente le contenu de tels programmes au regard des bonnes pratiques observées.

Dans ce document, l'Autorité considère que si de tels programmes sont essentiels, ils ne revêtent pas de caractère obligatoire dès lors que les dispositions législatives régissant l'Autorité ne font pas référence en tant que telles à la conformité1.


En outre, l'Autorité adopte une approche flexible (i.e. non prescriptive) s'agissant des programmes de conformité. Ceci constitue une différence notable par rapport aux recommandations de l'AFA en matière de programmes anticorruption.


On s'intéressera dans un premier temps aux enseignements de la décision de l'Autorité du 21 mai 2024, avant de défendre l'intérêt pour les entreprises d'adopter des programmes de conformité concurrence. Enfin, on formulera quelques recommandations pour la mise en place d'un tel programme.​


1. Les enseignements de la décision « produits préfabriqués en bétons » du 21 mai 2024

Dans sa décision du 21 mai 2024, l’Autorité rappelle d’abord qu’elle n’entend plus considérer la mise en place de mesures de conformité comme étant de nature à atténuer le montant de la sanction : « Quand bien même [l’entreprise] aurait établi un code de bonne conduite ou ait pris des mesures internes de mise en conformité, ces circonstances ne démontrent pas qu’elle soit allée au-delà de ses obligations légales ». Or, selon cette même décision, « la coopération d’une entreprise avec l’Autorité, en dehors de la procédure de clémence, ne peut fonder une atténuation de la sanction que si l’entreprise va au-delà des obligations auxquelles elle est juridiquement soumise ».

A notre sens, et malgré cette absence d’incitation formelle, les entreprises ont tout intérêt à mettre en place un dispositif de compliance antitrust, et à s’assurer de son application effective.

Les lacunes au sein des entreprises condamnées, mises en évidence dans la décision « Produits préfabriqués en béton ,» apportent d’utiles enseignements à ce sujet.


Absence d’engagement des instances dirigeantes des entreprises​

Comme on le sait, seul un véritable engagement de la direction générale (« instance dirigeante », selon la terminologie de l’AFA) permet la mise en œuvre effectif de compliance.

En l’occurrence, la gravité des pratiques mises en évidence dans la décision « Produits préfabriqués en béton » aurait pu (ou dû) être révélée par une analyse du respect des règles de concurrence au sein des entreprises concernées. L’absence de ces analyses révèle à tout le moins un défaut d’engagement des différentes directions générales des entreprises concernées. Sans se prononcer sur le volet pénal du dossier, on rappelle que des poursuites pénales peuvent être engagées contre les dirigeants (et toute personne physique) sur le fondement de l’article L 420-6 du Code de Commerce.


Absence de formation et sensibilisation

les différents participants aux quatre ententes condamnées dans la décision avaient selon cette dernière « perdu de vue le caractère illégal de leurs agissements et dans l’impossibilité de déterminer de manière précise le début des pratiques, lesquelles selon eux pourraient remonter aux années 80 ».

En d’autres termes, l’absence de guidance et de formation sur la légalité de telles pratiques conduisait les opérationnels à « naviguer » en plein brouillard », considérant que puisque ces pratiques étaient mises en œuvre depuis des temps « immémoriaux » elles pouvaient perdurer.


Absence de référents spécialistes de droit de la concurrence

Les entreprises se doivent de désigner un ou des référents spécialisés en droit de la concurrence, en interne (juristes d’entreprises) ou en externe (avocats) pour assurer la mise en œuvre effective du dispositif.

Dans un groupe international, il est essentiel qu’un réseau d’experts concurrence soit établi dans chaque pays compte tenu des particularités de chaque juridiction, même si le droit communautaire conduit à appliquer des règles substantiellement cohérentes.

On rappellera à cet égard l’importance de la prise en compte de la confidentialité des avis émis par les membres de ce réseau, les juristes d’entreprise ne bénéficiant toujours pas de la confidentialité de leurs avis, le secret professionnel des avocats constituant la seule garantie de protection, sauf en cas de perquisition pénale. Ainsi, dans l’affaire « Produits préfabriqués en béton », les services d’instruction de l’Autorité avaient reproché à un cabinet d’avocat d’avoir joué un rôle de facilitateur de l’entente en prodiguant à ses clients des conseils visant à dissimuler ces pratiques, notamment au travers d’une formation au droit de la concurrence au sein de l’association professionnelle durant laquelle le cabinet aurait délivré des conseils pour dissimuler les preuves de comportements anticoncurrentiels. Fort heureusement, ce grief n’a pas été retenu par l’Autorité faute de preuve de la connaissance de l’existence d’une entente par le cabinet d’avocat.


Absence de mécanismes de détection 

Faute d’avoir mis en place un mécanisme de détection de pratiques anticoncurrentielles, les entreprises du secteur ont pris le risque d’une détection externe, via un rapport de la DGCCRF à l’Autorité de la Concurrence, qui a adressé un signalement au Procureur de la République (a. 40 du code de procédure pénale) et entrainé la saisine d’un juge d’instruction, des interceptions d’échanges téléphoniques et des
perquisitions.

De même, l’absence de dispositifs d’alertes efficaces n’a pas permis la détection de telles pratiques au sein des entreprises, alors même que leur caractère illégal aurait dû apparaitre évident à nombre d’intervenants.


Absence d’audits de concurrence ciblés 

En outre, des audits ciblés auraient pu permettre de détecter en amont de telles pratiques et attirer l’attention des directions générales, s’agissant de pratiques particulièrement graves. Il est à noter que dans cette affaire, des demandes de clémence ont été formulées par deux des participants, ayant permis à l’Autorité d’établir la matérialité des infractions avec une meilleure certitude, et aux demandeurs de clémence de bénéficier de réductions substantielles d’amendes (entre 25% et 100% selon les ententes).

Or, de tels audits, parfois organisés sous la forme de simulations d’enquêtes par des autorités de concurrence (« Mock Dawn-Raids ») ont aussi vocation à permettre aux entreprises de prendre des décisions stratégiques pouvant aller jusqu’à une demande de clémence en cas de détection de pratiques particulièrement graves lors de tels audits.


L’augmentation du montant de la sanction en cas d’appartenance à un groupe puissant

Le communiqué de l’Autorité de la concurrence du 30 juillet 2021 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires prévoit que l’Autorité peut augmenter le montant de la sanction, en cas d’infraction au droit de la concurrence, pour tenir compte du fait que l’entreprise ou le groupe auquel appartient l’entreprise dispose d’une puissance économique ou de ressources globales importantes.

L’Autorité de la concurrence fait application de ce principe dans sa décision du 21 mai 2024, en augmentant de 100% le montant de base de l’amende d’une des entreprises condamnées, compte tenu de son appartenance à un groupe international ayant réalisé un chiffre d’affaires mondial hors taxes de plus de 30 milliards d’euros en 2022. Les sociétés mères de la société condamnée sont par ailleurs tenues solidairement responsables de la sanction prononcée.

En outre, cette co-responsabilité d’une société-mère avec sa filiale est quasi-systématique : l’Autorité rappelle en effet qu’il ne lui incombe pas de démontrer en quoi l’appartenance à un groupe a joué un rôle dans la commission des pratiques lorsque la ou les sociétés mères et la société auteure des pratiques constituent une entreprise unique au sens du droit de la concurrence.

Cette solidarité doit conduire les groupes à considérer la mise en œuvre d’un programme comme une nécessité, et à s’assurer de son application effective par l’ensemble des sociétés du groupe.​


2. Pourquoi la mise en place d'un dispositif de compliance antitrust n'est pas seulement un « nice-to-have » et comment mettre en place un tel dispositif ?

2.1. Objectifs

Selon l'Autorité, « les programmes de conformité sont des programmes par lesquels des entreprises ou des associations d'entreprises expriment leur attachement à certaines règles, ainsi qu'aux valeurs ou aux objectifs qui les fondent, et mettent en place des mesures concrètes destinées à développer une culture de respect des normes afin de prévenir d'éventuels manquements, de les détecter et d'y mettre fin ».


Toujours selon l'Autorité, les bénéfices des programmes de conformité aux règles de concurrence sont de trois ordres : ils contribuent à établir une concurrence libre et non faussée, ils permettent de prévenir certains risques avérés et ils facilitent la détection d'infractions.


Ainsi, en facilitant la détection d'éventuelles infractions, les entreprises limitent les risques d'exposition :

  • à des amendes potentiellement très significatives (les modalités de calcul des amendes étant particulièrement dissuasives, selon la jurisprudence communautaire) ;
  • à des sanctions pénales : l'article L. 420-6 du Code de commerce prévoit des peines pouvant aller jusqu'à quatre ans d'emprisonnement et 75 000 € d'amende pour les personnes physiques ayant pris frauduleusement une part personnelle et déterminante dans la conception, l'organisation ou la mise en œuvre de pratiques anticoncurrentielles ;
  • à des conséquences réputationnelles potentiellement très préjudiciables.

2.2. Principes

L'Autorité rappelle qu'un tel dispositif doit être conçu par et pour l'entreprise et reposer sur un ensemble de mesures concrètes impulsées par l'instance dirigeante et résumées comme suit :

  • ​Un engagement public de l'entreprise ;
  • Une cartographie des risques d'infractions aux règles de concurrence ;
  • Des relais et experts internes ;
  • Des mesures de formation, information et sensibilisation ;
  • Des mécanismes de contrôle et d'alerte ;
  • Un mécanisme de suivi et de mise à jour.​​

Ces mesures ont vocation à impulser une véritable culture de compliance antitrust pour permettre à la direction générale et aux opérationnels, particulièrement dans l'activité commerciale, de disposer d'instruments (lignes directrices, « Do's and Dont's ») adaptés au modèle d'affaires de l'entreprise et à son profil de risque.

2.3. Différences majeures entre un dispositif de « compliance antitrust » et un programme anticorruption

Un programme de compliance antitrust doit selon l'Autorité être conçu sur la base d'une cartographie des risques d'atteintes aux règles de concurrence, ce qui est l'une des principales innovations du Document-cadre de février 2022.


A cet égard, l'Autorité indique que « c'est un projet « sur-mesure », qui doit être adapté aux marchés, aux activités et produits, à l'organisation et la culture internes, ainsi qu'à la chaîne décisionnelle et au mode de gouvernance et nécessite de procéder à une analyse des risques, qui conduit à l'établissement d'une cartographie des risques identifiés ». En outre, « la cartographie des risques établie doit être régulièrement mise à jour au vu des évolutions qui auront été examinées afin de garantir une amélioration continue du programme de conformité. Ces évaluations successives et les modifications qui en découlent doivent être documentées ». Ces quelques emprunts à la compliance anticorruption permettent de faire converger les deux démarches, même si deux différences majeures subsistent :

  • Comme rappelé ci-avant, l'Autorité ne considère pas que l'existence, la qualité ou la mise en œuvre effective d'un programme doivent être prise en compte ni ex ante (cas des programmes anticorruption Sapin I) ni même ex post (on cherchera vainement dans les décisions de l'Autorité des développements sur la caractère atténuant ou aggravant de l'existence ou l'absence de programme antitrust) ;
  • La démarche de l'Autorité a vocation pédagogique mais nullement prescriptive, de sorte qu'au-delà de considérations générales l'entreprise cherchera vainement dans le Document-cadre ou la pratique décisionnelle des développements approfondis sur la mise en place d'un dispositif de compliance antitrust. Selon certains, ceci est préférable à une approche trop contraignante, même si l'effet utile du Document-cadre s'en trouve amoindri.

On notera aussi qu'à la différence d'un programme anticorruption « Sapin II », l'Autorité n'évoque pas la prise éventuelle de sanctions à l'encontre de salariés ayant enfreint les règles du dispositif, ce qui est cohérent avec l'approche non prescriptive.


2.4. Comment articuler un dispositif de « compliance antitrust » avec les autres dispositifs en place (ex. anticorruption, sanctions-embargos, LCF-FT) ?

Selon l'Autorité, « un programme de conformité aux règles de concurrence a vocation à s'insérer dans un programme de conformité global qui rassemble l'ensemble des dispositifs préventifs mis en place par l'entreprise (en matière de lutte contre le blanchiment et la corruption, de protection des données personnelles, de responsabilité sociale, sociétale et environnementale, etc.) ».

Il est en effet crucial d'articuler les différentes mesures du dispositif « antitrust » avec celles des autres programmes, et notamment :

  • l'engagement de la direction générale,
  • la cartographie des risques,
  • la vérification de l'intégrité des tiers,
  • le déploiement du réseau de référents,
  • les mesures de sensibilisation et formation
  • le mécanisme de recueil et de traitement des alertes,
  • le programme d'audits de compliance.​

3. Nos recommandations concernant la mise en place et le suivi d’un dispositif de « compliance antitrust »

    1. Obtenir le support de la direction générale sur l'organisation et les moyens requis pour mettre œuvre un tel dispositif, au travers d'une lettre de nomination d'un responsable chargé du pilotage du dispositif ;
    2. Elaborer une cartographie des risques concurrence en lien avec les autres cartographies des risques existantes ;
    3. Rédiger et mettre en place un dispositif de compliance « antitrust » (politiques et procédures) fondé sur la cartographie des risques concurrence ;
    4. Définir les rôles et responsabilités des dirigeants opérationnels et des référents du dispositif concurrence en France et dans toutes les juridictions où opère le groupe (juristes internes et avocats spécialisés en droit de la concurrence) ;
    5. Elaborer des guides pratiques, lignes directrices internes et « Do's and Dont's » par thématique et les diffuser largement au sein du groupe ;
    6. Rédiger des supports de formation et de sensibilisation abordant chacune des thématiques, et assurer leur déploiement lors de sessions pratiques favorisant les questions-réponses selon les types de populations concernées ;
    7. Intégrer les règles de concurrence lors de l'élaboration ou la mise à jour du dispositif d'alerte interne ;
    8. Elaborer un plan d'audit périodique (éventuellement sous forme de « Mock Dawn Raids ») permettant de vérifier le suivi du respect effectif du dispositif par les populations concernées ;
    9. Organiser un reporting périodique du suivi du dispositif et mettre à jour la cartographie des risques concurrence et le dispositif de compliance antitrust ;
    10. En cas de détection de pratiques anti-concurrentielles, mettre en place un plan de remédiation fondé sur une analyse des risques et des options stratégiques, y compris en matière de coopération avec les autorités (clémence ou transaction).
Cet article a fait l’objet d’une publication aux Editions Législatives​.

​1  L’Autorité dispose pourtant de différents moyens pour faire respecter une telle conformité, notamment au travers des procédure de transaction et programme de clémence pour inciter les entreprises à prévenir et détecter des pratiques anticoncurrentielles en leur sein.

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