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Participations minoritaires dans une entreprise concurrente et risque antitrust : regards croisés

​​​​Paris | 19.12.2025


Les participations minoritaires dans des entreprises concurrentes ont des motivations diverses, le plus souvent tout à fait légitimes. Cependant, les procédures actuelles engagées par les autorités antitrust internationales montrent qu'elles comportent des risques substantiels en matière de droit des ententes et peuvent même entraîner des amendes élevées, comme celles infligées récemment par la Commission européenne à Delivery Hero et Glovo pour un montant de 329 millions d'euros. 


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Ce risque peut concerner toute entreprise qui prend une participation dans un concurrent potentiel, y compris les sociétés de capital-investissement et les investisseurs institutionnels, qu'il s'agisse d'une entreprise industrielle classique, d'un nouveau venu prometteur ou d'une start-up. En effet, les autorités de concurrence dans le monde sont de plus en plus vigilantes et disposent d’outils variés pour examiner les éventuels effets anticoncurrentiels des acquisitions de participations en dessous des seuils du contrôle des concentrations. ​​


Commission européenne : participation minoritaire de Delivery Hero​

Dans une décision rendue le 2 juin 2025 (AT.40795), la Commission européenne a infligé des amendes élevées à Delivery Hero et Glovo pour avoir enfreint pendant plusieurs années le droit des ententes dans le domaine de la livraison de repas en ligne.


Delivery Hero a acquis en 2018 une participation minoritaire de 15 %, qu'elle a augmentée à 37,4 % à la fin de 2021. Au milieu de l'année 2022, Delivery Hero a finalement pris le contrôle exclusif de Glovo. La Commission européenne a reproché à Delivery Hero et Glovo d'avoir utilisé pendant plusieurs années la participation minoritaire et la position d'associé qui en résultait comme plateforme pour coordonner leur comportement concurrentiel.


Dans les motifs de sa décision, la Commission européenne précise qu'une participation minoritaire dans un concurrent ne constitue pas en soi une violation du droit européen de la concurrence. Elle a toutefois établi un lien clair entre la participation minoritaire et les infractions au droit des ententes commises. La participation minoritaire a permis aux entreprises de se concerter à différents niveaux, en violation du droit des ententes. 


La Commission européenne s'est essentiellement appuyée sur les comportements suivants :


Dispositions contractuelles restrictives de la concurrence ​

L'accord d'actionnaires conclu dans le cadre de la participation minoritaire contenait, entre autres, une clause de non-embauche. Cette clause interdisait aux deux entreprises d'embaucher des employés de l'autre entreprise. La Commission européenne a clairement indiqué que de tels accords restrictifs de concurrence (tels que les interdictions de débauchage ou les accords de non-débauchage) sont illicites, même dans le cas d'une participation minoritaire.​


Actionnaire minoritaire avec droits d'influence et poste au conseil d'administration

La participation minoritaire a permis à Delivery Hero de détenir un siège au conseil d'administration de Glovo ainsi que certains droits lui permettant d'influencer les processus décisionnels et donc la stratégie commerciale de Glovo, ou de les aligner sur sa propre stratégie. La Commission européenne a notamment souligné que des documents contenant des informations stratégiques issues des réunions du conseil d'administration de Glovo avaient été transmis à la direction de Delivery Hero par l’administrateur nommé par Delivery Hero. En outre, Delivery Hero a utilisé sa position d'actionnaire minoritaire pour influencer la stratégie dans la zone géographique d'activité de Glovo dans l'Espace Economique Européen. Il en a finalement résulté un partage illicite du marché entre les entreprises.​


​Liens à différents niveaux de l'entreprise et échange d'informations​

La participation minoritaire a créé des liens entre les employés de différents niveaux et fonctions des deux entreprises. Ces liens ont été soutenus et renforcés (également) au plus haut niveau des deux entreprises, comme le montrent de nombreux messages, appels téléphoniques et autres communications entre les dirigeants des entreprises. Il en a résulté un échange ou une divulgation unilatérale d'informations concernant des paramètres concurrentiels importants, notamment les prix actuels et futurs, les capacités de production, les stratégies commerciales, les structures et éléments de coûts, ainsi que les prévisions de ventes futures.
Dans sa décision, la Commission européenne précise que l’immunité intra-groupe ne s'applique pas aux participations minoritaires sans contrôle. Elle ne justifie pas non plus les interdictions de recrutement, les répartitions de marchés et les échanges d'informations qui restreignent la concurrence.
Cette Décision s’inscrit dans le cadre d’une vigilance accrue des autorités de concurrence à l’égard des prises de participations minoritaires non contrôlantes (donc non soumises au contrôle des concentrations) mais susceptibles de porter atteinte à la concurrence. 

Office fédéral allemand des ententes (Bundeskartellamt - « BKA ») : participation minoritaire de la Deutsche Post

Presque au même moment que la décision de la Commission Européenne, l'Office fédéral allemand des ententes (Bundeskartellamt - « BKA ») a clos une procédure administrative à l'encontre de la Deutsche Post et du groupe Max Ventures. Cette affaire concernait un prestataire de services dans le domaine du regroupement de courrier (la société Compador Dienstleistungs GmbH). Max Ventures détenait 74 % des parts et Deutsche Post 26 %. Dans le cadre de cette participation, d'autres accords contractuels ont été conclus entre Deutsche Post et Max Ventures.


Comme les deux groupes étaient actifs sur le segment de marché de Compador, le BKA a émis des réserves en matière de concurrence. L'impulsion concurrentielle potentielle exercée par Compador sur Deutsche Post, qui occupe une position dominante sur le marché, serait « naturellement fortement atténuée tant que Deutsche Post AG serait liée à son principal concurrent, Max-Ventures ».

Après la cession par Deutsche de ses parts au groupe Max-Ventures et la résiliation des accords connexes, le BKA a clos la procédure. La dissolution de l'interdépendance était la mesure appropriée pour maintenir la concurrence ouverte.


Dans ses enquêtes sectorielles sur l'asphalte laminé (2012) et le ciment et le béton prêt à l'emploi (2017), le BKA avait déjà émis des critiques à l'égard des interdépendances entre concurrents, en particulier dans le cadre d'entreprises communes, soupçonnant l'existence d' effets restrictifs de concurrence lorsque au moins deux associés et l'entreprise commune elle-même opéraient sur le même marché pertinent en termes de produits et de zone géographique.​


France : Avis de l’Autorité de concurrence du 28 juin 2024​


Dans cet avis relatif au fonctionnement concurrentiel du secteur de l'intelligence artificielle générative, l’Autorité de la Concurrence (AdlC) indique que "les prises de participation minoritaires et partenariats des géants du numérique peuvent soulever des préoccupations de concurrence". L’AdlC rappelle d’abord qu’elles ne sont pas condamnables en soi dans la mesure où elles peuvent permettre à de jeunes entreprises innovantes de disposer de capacités financières nécessaires à leur développement. Toutefois, l’AdlC indique qu’elles peuvent aussi affaiblir l’intensité concurrentielle, entrainer des effets verticaux, un accroissement de la transparence sur les marchés ou encore un verrouillage de certains acteurs. Elle rappelle ainsi que ces opérations « peuvent être appréhendées ex post sous l'angle du droit des pratiques anticoncurrentielles, sur le fondement du droit des ententes ou de l'abus de position dominante (y compris collective) ».

Pour mémoire, l'AdlC avait considéré pour la première fois en 2022 qu'une prise de participation minoritaire non contrôlante concomitante à une prise de contrôle exclusif était susceptible de porter atteinte à la concurrence, à l’occasion du rachat de la société Bio Pôle Antilles par le groupe Inovie, et obtenu que cette dernière s’engage à renoncer à toute prise de participation minoritaire pendant 10 ans dans le capital d’un concurrent comme condition de l’approbation de l’acquisition du contrôle exclusif de Bio Pôle Antilles (https://www.autoritedelaconcurrence.fr/fr/communiques-de-presse/laboratoire-de-biologie-medicale-lautorite-autorise-sous-conditions-le-rachat). 

​États-Unis : État du Texas contre Black Rock et al.

​Aux États-Unis, l'affaire État du Texas contre Black Rock et al. (22 mai 2025) fait l'objet d'un débat public concernant des violations du droit des ententes en rapport avec des participations minoritaires. Dans cette affaire, trois grandes sociétés d'investissement sont accusées d'avoir utilisé leurs participations minoritaires dans des entreprises concurrentes pour imposer des restrictions à la concurrence, par exemple en incitant leurs sociétés affiliées à réduire leur production. La procédure n'est pas encore terminée, mais elle montre que le sujet peut être particulièrement pertinent pour les sociétés d'investissement, les gestionnaires d'actifs et les sociétés de capital-investissement détenant plusieurs participations minoritaires dans un segment de marché.​

Conséquences pour la pratique des entreprises

Les participations minoritaires dans des entreprises concurrentes ne sont pas interdites en soi. Cependant, l'amende infligée par la Commission européenne à Delivery Hero montre clairement que la prise d'une participation minoritaire dans une entreprise concurrente, actuelle ou potentielle, comporte des risques substantiels en matière de droit des ententes.


Ces participations minoritaires doivent être analysées, structurées et surveillées non seulement au regard du droit des concentrations, mais aussi à la lumière du droit des ententes. Cela vaut tant pour les participations existantes que pour les participations futures. Il faut s'attendre à ce que les autorités antitrust internationales examinent à l'avenir de manière plus approfondie les participations minoritaires et leurs effets sur la concurrence. Il convient de prêter une attention particulière aux aspects suivants :

  • D'abord, examiner quelles informations circulent entre les entreprises concernées et dans quelle mesure ces flux d'informations doivent être limités afin de minimiser les risques en matière de droit des ententes. Cela concerne aussi bien les droits légaux à l'information de l'actionnaire minoritaire que les informations reçues par un membre du conseil d'administration, ainsi que les accords formels et informels à tous les niveaux ; ​
  • ​Ensuite, analyser quelles sont les possibilités d'influence de l'actionnaire minoritaire sur les décisions stratégiques et concurrentielles du concurrent, tant sur le plan juridique que factuel. Le cas échéant, des mesures doivent être prises pour empêcher toute coordination des comportements.

Des mesures de précaution sont aussi recommandées en cas d'interdépendance au niveau du personnel. La nomination à des postes ne doit pas conduire à un échange illicite d'informations sensibles, une coordination du comportement concurrentiel sur le marché, des interdictions de débauchage ou autres mesures similaires.


Avec sa décision, la Commission européenne (ainsi d'ailleurs que l'AdlC dans son avis précité) souligne une fois de plus la détermination des autorités antitrust à lutter contre les interdictions de débauchage et d'embauche entre entreprises (« no poach ou no hire »). Les entreprises doivent impérativement intégrer cet aspect dans leur conformité antitrust, lors de l'analyse stratégique de l'acquisition de participations minoritaires.


On rappellera également que les autorités peuvent également sanctionner les acquisitions majoritaires non soumises au contrôle des concentrations (« killer acquisitions ») sur le fondement de l'abus de position dominante dès lors qu'elle a pour objet ou pour effet d'évincer un concurrent (Autorité de la concurrence, décision Doctolib n° 25-D-06 du 6 novembre 2025, en application de la décision Towercast (CJUE, Aff. C-449/21, 16 mars 2023)


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