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Directive ECN + : la transposition en droit français conduit à renforcer les programmes de compliance antitrust [1]

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Le règlement n°1/2003 a posé un principe de décentralisation permettant aux autorités nationales de concurrence (ANC) de rendre 85% des décisions relatives à l'application du droit de la concurrence de l'Union européenne[2]. Toutefois, sa mise en œuvre dans les différents États membres demeurait hétérogène. La directive ECN+[3] vient combler ces lacunes en proposant une harmonisation (minimale) concernant les garanties d'indépendance, les ressources et les pouvoirs de coercition et de fixation d'amendes accordés aux ANC.
 
Plusieurs garanties prévues par la directive étaient déjà consacrées par le droit français (par exemple, l'indépendance de l'Autorité, l'allocation de ressources nécessaires ou la possibilité de prononcer des astreintes ou des sanctions pouvant aller – pour les entreprises - jusqu'à 10% de leur chiffre d'affaires mondial). L'intervention du législateur français était tout de même requise afin de s'aligner complètement sur les exigences européennes. La transposition de la directive – dont la date butoir était prévue pour le 4 février 2021 – est finalement intervenue par l'ordonnance du 26 mai 2021[4] (mieux vaut tard que jamais), prise sur habilitation de l'article 37 de la loi DDADUE[5].
 
Les prérogatives des ANC se trouvant renforcées, les entreprises sont appelées à faire preuve d'une vigilance accrue, qui s'inscrit pleinement dans le cadre de la publication récente du document-cadre de l'Autorité de la concurrence française sur les programmes de conformité[6]. A titre liminaire, il faut rappeler que – même hors directive ECN+ - les pouvoirs de l'Autorité ont aussi été élargis à travers la loi PACTE[7] (possibilité d'accéder aux « fadettes » lors des enquêtes) mais aussi la loi DDADUE (simplification de la procédure applicable aux opérations de visite et de saisie avec un juge unique pour tout le territoire et un seul officier de police judiciaire présent sur site lors de ces opérations ; réforme de la procédure contentieuse où le Rapporteur informe désormais les parties et le commissaire du gouvernement de sa décision de recourir à la procédure simplifiée avant la notification des griefs ; suppression de l'avis de clémence, le montant de l'exonération éventuellement accordé n'étant indiqué qu'ultérieurement à l'entreprise ; ainsi que l'extension des exceptions à la collégialité).
 
La transposition de la directive ECN+ poursuit ce travail de simplification et d'accélération du traitement des affaires, que ce soit avec les nouvelles règles de procédure ou l'affermissement des sanctions :
 
  • La faculté d'auto-saisine en matière conservatoire[8] : l'Autorité peut à présent intervenir d'office – autrement dit, sans qu'une demande ait été présentée par une entreprise - pour imposer des mesures conservatoires. L'auto-saisine permettra ainsi à l'Autorité d'intervenir sans délai dans des secteurs sujets à des transformations rapides, tels que le secteur de l'Internet.
  • L'opportunité des poursuites[9] : si elle pouvait déjà ne pas instruire une plainte en application de la règle de minimis ou la rejeter lorsque les faits invoqués n'étaient pas appuyés sur des éléments suffisamment probants ou lorsque la plainte pouvait être traitée par le ministre, l'Autorité ne pouvait pas rejeter une plainte au seul motif que l'affaire ne lui apparaissait pas prioritaire. Sur le fondement de l'indépendance institutionnelle, la transposition de la directive octroie à l'Autorité la possibilité de se fixer ses propres priorités et de rejeter les plaintes qui n'y correspondent pas. Selon l'ancienne Présidente de l'Autorité, Mme Isabelle de Silva[10], cela « ne signifie pas que le système est totalement à la discrétion de l'Autorité », mais qu'il « permet simplement de mesurer l'intérêt d'une poursuite au vu de l'intérêt général, de la gravité du cas et de la capacité à le sanctionner[11] ». En pratique, l'opportunité des poursuites reviendrait à exclure alors les dossiers d'une densité concurrentielle ou d'une importance insuffisantes ou les affaires nécessitant des moyens d'instruction disproportionnés par rapport à la charge de l'Autorité ou à ses moyens.
  • L'abandon du principe de loyauté de la preuve au profit du régime de la liberté de la preuve[12] : les pratiques dont l'Autorité de la concurrence est saisie peuvent être établies « par tout mode de preuve ». Autrement dit, en excluant le principe de loyauté de la preuve requis par la Cour de cassation , ceci permet d'admettre « les enregistrements dissimulés effectués par des personnes morales ou physiques, pour autant qu'il ne s'agisse pas de l'unique source de preuve » (considérant n°73 de la directive).
  • La procédure de clémence étendue aux personnes physiques[13] : afin de renforcer l'attractivité du programme de clémence – et donc favoriser la détection des cartels, la directive prévoit un régime harmonisé de clémence, auquel le droit français était déjà largement conforme. Néanmoins, la transposition rajoute la possibilité de l'exemption de sanctions pénales de personnes physiques. Même si les conditions restrictives de cette exemption (personne physique ayant « coopéré activement » et appartenant au personnel de l'entreprise ayant formé la première la demande de clémence) signifient qu'en pratique elle sera rarement appliquée, cette réforme participe – comme le rappelle le nouveau document-cadre de l'Autorité - à l'incitation pour les entreprises à mettre au jour d'éventuelles ententes secrètes.
  • Le déplafonnement des sanctions envers les associations professionnelles[14] : le plafond spécifique de 3 millions d'euros de sanction dont bénéficiaient les « organismes professionnels » est à présent remplacé par le plafond applicable à toute entreprise, à savoir 10% de son chiffre d'affaires ou même 10 % du chiffre d'affaires de ses membres actifs sur le marché concerné par l'infraction. S'agissant des modalités de recouvrement de la sanction, lesdits membres peuvent en outre voir leur responsabilité financière directement recherchée lorsque l'organisme ne s'acquitte pas de sa dette. Face au risque financier colossal auquel sont exposées les associations professionnelles – qui sont appelées à fournir des conseils techniques et commerciaux à leurs membres, sans pour autant franchir la frontière d'un comportement anticoncurrentiel – l'Autorité a émis une Etude thématique[15] à leur égard dans le but d'éclaircir les « Do's & Don'ts ». Elle y encourage vivement les organismes à établir un programme de conformité, ainsi que de mettre en place des actions de sensibilisation des membres et du personnel aux règles de concurrence.
    A noter que – concernant le calcul de la sanction pécuniaire – le critère du « dommage à l'économie » est supprimé : sont pris en compte la durée (critère rajouté par la transposition) et la gravité de l'infraction[16].
  • La possibilité de prononcer des injonctions structurelles, et non plus seulement comportementales[17] : les injonctions structurelles  pouvant être prononcées par l'Autorité (par exemple, la cession d'une filiale ou d'une activité) ne se limitent plus aux sanctions de pratiques de la grande distribution prévues par un texte spécial, mais peuvent aujourd'hui avoir pour cible toute pratique anticoncurrentielle, dès lors que la mesure corrective structurelle est proportionnée à l'infraction commise et nécessaire pour faire cesser effectivement l'infraction.
La tâche herculéenne qu'est l'application efficace des règles de concurrence au sein de l'Union se retrouverait réduite à néant en l'absence d'exécution forcée des décisions, qui nécessite donc une coopération entre les autorités nationales de concurrence. La directive ECN+ y prend garde, en prévoyant notamment que – sous certaines conditions – une ANC d'un Etat membre ayant prononcé une amende ou une astreinte sera en mesure de solliciter l'aide d'une autre ANC pour que cette dernière exécute ladite décision.   
 
La transposition de la directive ECN+ rend la mise en œuvre des règles de concurrence plus efficace à l'échelle européenne, ce qui devrait permettre aux entreprises d'opérer dans un marché où le caractère libre et non faussée de la concurrence se trouve renforcé.
Toutefois, la transposition se traduit également par un décuplement du risque financier et d'atteinte à la réputation pour l'entreprise. Afin d'éviter une issue défavorable, l'entreprise a alors intérêt d'adopter une démarche proactive – sous le triptyque de la prévention, détection et remédiation – à travers l'adoption d'un programme de compliance antitrust.
 
[1] Article co-rédigé par Jean-Yves Trochon, Hugues Boissel Dombreval et Pénélope Domagk, cabinet Rödl & Partner Avocats, Paris.
[3] Directive (UE) 2019/1 du Parlement Européen et du Conseil du 11 décembre 2018 visant à doter les autorités de concurrence des États membres des moyens de mettre en œuvre plus efficacement les règles de concurrence et à garantir le bon fonctionnement du marché intérieur.
[4] Ordonnance n° 2021-649 du 26 mai 2021 relative à la transposition de la directive (UE) 2019/1 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 visant à doter les autorités de concurrence des États membres des moyens de mettre en œuvre plus efficacement les règles de concurrence et à garantir le bon fonctionnement du marché intérieur.
[5] Loi n° 2020-1508 du 3 décembre 2020 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière.
[6] L'Autorité de la concurrence française a publié le 11 octobre 2021 un nouveau document-cadre sur les programmes de compliance antitrust, qui est soumis à consultation publique jusqu'au 10 décembre 2021 : Voir à ce sujet notre article « Consultation de l'autorité de la concurrence sur le document cadre concernant les programmes de compliance au règles de concurrence ».
[7] Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises.
[8] L.464-1 C.com., transposant l'article 11 de la directive ECN+.
[9] L.462-8 C.com., transposant l'article 4, §5 de la directive ECN+.
[10] Le mandat d'Isabelle de Silva à la présidence de l'Autorité de la concurrence s'est achevé le 13 octobre 2021. Le vice-président de l'Autorité, Emmanuel Combe, assurera un intérim jusqu'à la nomination de son successeur.
[12] L.463-1 al. 2 C.com., transposant l'article 32 de la directive ECN+ (et son considérant n°73).
[13] L.420-6-1 C.com., transposant l'article 23 de la directive ECN+.
[14] L.464-2 C.com., transposition des articles 14 et 15 de la directive ECN+.
[15] Etude thématique – Les Organismes professionnels, publié sur le site de l'Autorité de la concurrence le 27 janvier 2021 : https://www.autoritedelaconcurrence.fr/sites/default/files/EtudeThematique-OrganismesProfessionnels_final.pdf.
[16] L.464-2 C.com. modifié, transposant l'article 12 de la directive ECN+. 
[17] L.464-2 I C.com., transposant l'article 10 §1 de la directive ECN+ ; abrogation de L.752-26 C.com.

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