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Droit à l'image - Malgré l’atteinte à la vie privée des gens, des enregistrement vidéos obtenus illégalement peuvent-ils valablement servir de preuve dans un procès civil ?

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La fin justifie-t-elle les moyens ? Peut-on accepter que des preuves obtenues illicitement soient déclarées recevables pour prouver un acte illégal ? En particulier, un enregistrement vidéo (ou audio) ayant capté l'image (ou la voix) de personnes sans une information préalable, voire sans leur autorisation - donc illégalement - peut-il néanmoins servir de preuve d'actes illégaux commis par la personne filmée (ou enregistrée) ?

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Le droit à l'image des personnes et ses usages, puisque c'est de cela qu'il s'agit, est un sujet extrêmement sensible et toujours très débattu.


Construction principalement jurisprudentielle, reposant sur le droit fondamental au respect de la vie privée posé par l'article 9 du Code Civil, le droit à l'image est relativement bien établi en France. Il connaît néanmoins régulièrement des rebondissements inédits, au gré des affaires judiciaires. En outre, comme le rappelle le RGPD, l'image est également une donnée personnelle, propriété individuelle protégée à ce titre par ce règlement européen.


Il y a quelques temps, nous commentions l'arrêt de la Cour de Cassation du 2 juin 2021, dans lequel la Haute juridiction française réaffirmait une position adoptée au niveau européen par la CEDH, à savoir que l'image d'une personne n'était pas seulement protégée contre sa diffusion publique, mais également dès sa captation, c'est-à-dire que cette dernière requiert généralement l'accord ou l'information de la personne filmée. Solution rassurante tant chacun a pu vivre la forme de violence que peut constituer, à l'ère des écrans omniprésents, le fait de se faire filmer contre son gré, en public ou en privé.


Depuis quelques mois et dernièrement le 14 février 2024, plusieurs arrêts de la Cour de Cassation apportent une nouvelle pierre au droit à l'image : 


une image obtenue illégalement peut-elle néanmoins être considérée comme une preuve licite et recevable d'un acte illicite, en matière civile ?


Coïncidence amusante, le film allemand « La Salle des Profs », sortit en mars 2024, aborde à son tour cet aspect particulier du droit à l'image :  une professeure décide de filmer discrètement sa salle des profs, via la caméra de son ordinateur resté allumé, afin d'identifier l'auteur de vols à répétition. La tension monte lorsqu'enseignants et élèves apprennent qu'ils ont ainsi pu être filmés sans leur autorisation préalable, alors que cette captation a clairement, a posteriori, un intérêt pour révéler la vérité.


1. ​Une évolution radicale de la jurisprudence civile, du rejet de la preuve à sa recevabilité sous condition.

Contrairement aux affaires pénales, en matière civile, la preuve obtenue déloyalement est habituellement considérée comme irrecevable, la Cour de Cassation faisant primer le principe de loyauté des preuves (établir par un arrêt de principe de 2011) et la protection de la vie privée sur l'efficacité probatoire.

Mais cette position évolue depuis quelques années…


Après quelques décisions convergentes, ces dernières années, sur le plan général de la preuve, plusieurs arrêts, en 2023, ont bouleversé le principe jurisprudentiel, en matière civile et particulièrement en matière prud'hommale, de l'irrecevabilité d'enregistrements vidéos ou sonores obtenus sans autorisation, pour prouver des fautes.


Le 8 mars 2023, dans deux arrêts relatifs à des licenciements pour faute, fondés sur des images de vidéosurveillance, la Cour de cassation, alignant sa position sur celle de la Cour européenne des Droits de l'Homme, estimait qu'une preuve obtenue illicitement ne doit pas être systématiquement écartée des débats et pouvait même être admise lorsque, premièrement, elle était indispensable à l'exercice du droit à la preuve, et lorsque, deuxièmement, l'atteinte ainsi portée à la vie privée du salarié par ces captations indues, reste strictement proportionnée au but recherché, à savoir la caractérisation d'une faute grave.


Le 22 décembre 2023, l'Assemblée plénière venait à connaître d'une affaire civile (prud'hommale en particulier) (n°20-20.648) où un salarié avait été licencié pour faute grave, sur la base d'un enregistrement audio réalisé à son insu au cours d'un entretien, enregistrement au cours duquel ledit salarié avait tenu des propos   qui justifiaient la décision de l'employeur. Le salarié avait contesté son licenciement devant le Conseil de Prud'hommes, au motif de l'illicéité de la preuve utilisée, et avait obtenu gain de cause en appel. La Haute Cour opérait ainsi un revirement de jurisprudence en jugeant que des moyens de preuve (sonore, en l'espèce) ne pouvaient être écartés au seul motif qu'ils avaient été obtenus de manière déloyale. Selon la Cour de Cassation, le juge devait également, d'une part, vérifier s'ils s'avéraient indispensables à l'exercice des droits du justiciable et, d'autre part, évaluer si l'atteinte ainsi portée aux intérêts légitimes de la personne (ici, le salarié) n'était pas disproportionnée au regard des nécessités du droit de la preuve.


En pratique, la Cour cassait l'arrêt d'appel, invitant donc la Cour de renvoi et les futures juridictions à faire ce test de proportionnalité et de nécessité, avant d'arbitrer sur la recevabilité ou le rejet d'un enregistrement illégal.

Et précisément, preuve qu'il s'agit ici d'une exigence de test de proportionnalité et non d'une acceptation de principe des enregistrements illégaux, le 17 janvier 2024, toujours en matière prud'hommale, la Cour de Cassation validait la position de la Cour d'appel, qui avait rejeté un enregistrement illégal, au motif qu'il n'était pas indispensable à la preuve d'un harcèlement moral, celui-ci pouvant être établi par d'autres moyens licites.


Ces décisions concernent presque toutes des enregistrements audio ou vidéo réalisés de manière déloyale, à l'insu des personnes concernées, généralement des salariés dans des affaires de licenciement. Elles sont une illustration pratique et utile, en matière de données personnelles et de droit à l'image, du pragmatisme affiché par plusieurs arrêts, ces dernières années, qui ont commencé à envisager l'admissibilité de moyens de preuves illégaux, dans ces conditions restrictives.


2. Arrêt du 14 février 2024 : la confirmation du revirement, à l'occasion de bandes d'images de vidéosurveillance

Dans la dernière affaire en date, du 14 février 2024 (n°22-23.073), d'un côté, une salarié de pharmacie avait été licenciée pour faute grave (vols), grâce à des enregistrements tirés de la vidéosurveillance des locaux ; d'un autre côté, cette vidéosurveillance avait été malheureusement installée par l'employeur sans consultation préalable du CSE ni information des salariés, et était donc illicite (on rappellera que le consentement des salariés n'est pas requis, sauf exceptions, pour la vidéosurveillance en entreprise, lorsque celle-ci a pour but la protection des personnes et des biens).

La salariée, estimant que la preuve defas utes alléguées avait été obtenue illégalement, contestait donc son licenciement.


La salarié contestait la recevabilité de cet enregistrement, et donc son licenciement, à plusieurs titres a priori légitimes :

  • Au titre de la protection de la vie privée des salariés, lors de l'installation d'un système de vidéosurveillance, l'employeur doit (i) consulter les instances représentatives du personnel et (ii) informer les salariés, notamment des finalités de cette surveillance, à savoir en général la nécessité d'assurer la sécurité des personnes et des biens. Mais en particulier si une autre finalité était prévue, telle que la surveillance des salariés, finalité elle-même rarement licite.
  • L'information reçue de l'employeur ne mentionnait de toutes façons aucune finalité de contrôle de l'activité des salariés.
  • Les bandes vidéos utilisées n'étaient pas indispensables à la preuve des faits alléguées, d'autres moyens le permettant.

Que fallait-il faire primer : L'atteinte à la vie privée (et à l'image) de la salarié, du fait d'un enregistrement illégal, ou l'efficacité et l'intérêt de la preuve pour caractériser une faute nuisant gravement à l'entreprise ?

La Cour a estimé que la Cour d'Appel avait bien procédé à un test proportionnalité, entre le droit au respect de la vie privée de la salariée et le droit de l'employeur de prouver une atteinte au bon fonctionnement de l'entreprise. En cela, la Cour d'appel avait correctement jugé que cette bande vidéo était indispensable à la preuve des faits allégués, sans que sa production cause une atteinte disproportionnée aux droits de la salarié.


Cette décision constitue un revirement par rapport à la position traditionnelle des juridictions civiles rejetant les preuves obtenues illicitement. On retient de cette jurisprudence récente que les juridictions doivent désormais pratiquer un test de proportionnalité et de nécessité, afin de vérifier lesquels, du droit fondamental de chacun sur son image et sur sa voix ou du droit fondamental de tout justiciable à produire la preuve de ses allégations, doivent primer lorsqu'ils s'opposent. Cette position se fonde sur l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 9 du Code de procédure civile, qui fondent la force du droit à la preuve au bénéfice du justiciable…cette preuve fut-elle apparemment obtenue de manière déloyale.


Cette évolution marque également une relativisation intéressante entre la protection fondamentale de l'image comme donnée personnelle symbolique de la vie privée de chacun, qui n'autorisait guère de dérogations, et l'affirmation d'un droit à la preuve susceptible de primer sur la protection d'une telle donnée.

Le droit à l'image est d'une très grande diversité, depuis les conditions dans lesquelles l'image est captée, avec ou sans l'autorisation des personnes, jusqu'aux multiples utilisations, commerciales ou non, légitimes ou non, limitées ou étendues, dont l'image peut faire l'objet, notamment en entreprise dans les rapports employeurs-salariés. Le cabinet Rödl & Partner vous assiste sur l'organisation et la rédaction des actes nécessaires pour assurer une utilisation licite de ces données personnelles.​

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Frédéric Bourguet

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