Intervention de Nicola Lohrey à l'AHK Business Woman Forum à Dubai, 16/06/2021

« LES FEMMES DIRIGEANTES - CE QUI LES DISTINGUE  » 

Découvrez l’intervention de Nicola Lohrey, Associée gérante de Rödl & Partner, dans le cadre du AHK Business Woman Forum à Dubai le 16 juin 2021.

Veuillez trouver la transcription française de l'intervention ci-dessous:

Mesdames et Messieurs,

Je suis très honorée de parler aujourd'hui des femmes chefs d'entreprise qui ont réussi et de partager avec vous certaines de mes expériences personnelles.
Pour ce faire, j'aimerais commencer par une présentation de ma personne et de mon parcours professionnel. Je m'appelle Nicola Lohrey, je suis née et j'ai grandi en Allemagne et j'ai fait mes études de droit à Osnabrück. Je suis mariée et j'ai deux fils. J'ai découvert très tôt mon intérêt pour le travail international, c'est pourquoi j'ai choisi de faire une partie de mes études en France. Au départ, je m'intéressais à une profession de diplomate car je pensais que cela me permettrait de voyager et donc de préserver la composante internationale que je recherchais. Bien que j'aie effectué un stage à l'UNESCO et à l'ambassade d’Allemagne à Genève, je suis arrivée à la conclusion que mes intérêts étaient davantage motivés par les questions liées aux entreprises. Après avoir terminé mes études de droit, je me suis donc spécialisée en droit des sociétés et fusions- acquisitions. Dans la continuité, j'ai commencé à travailler pour un cabinet d'avocats allemand à Paris en tant qu'avocat d'affaires dans le domaine du conseil juridique franco-allemand.
En mai 1999, j'ai assumé mon premier poste de responsable au sein du cabinet d'avocats EY dans lequel je dirigeais le département juridique allemand. C'était la première fois que j'avais une responsabilité décisive non seulement sur mes propres actions mais aussi sur celles des autres. Cette responsabilité a été élargie au cours des six dernières années passées chez EY puisque j'étais responsable de toutes les activités liées aux pays germanophones.
Après 15 ans d'expérience professionnelle chez EY, j'ai décidé de relever un nouveau défi. J'ai rejoint Rödl & Partner, réorganisé et géré notre bureau français et créé un nouveau bureau à Strasbourg.
Depuis 2020, je suis l'un des sept membres du managing board de Rödl & Partner et je suis responsable de nos bureaux en France, au Royaume-Uni, en Espagne, au Portugal et dans les États du CCG au niveau du conseil exécutif.

La question que l'on pourrait se poser ici est la suivante : comment ai-je accédé à ces postes de direction alors que la plupart des études sur l'égalité des sexes indiquent qu'il s'agit d'un accomplissement plutôt difficile pour les femmes ? En fait, la distance moyenne parcourue vers l'égalité des sexes dans le monde est de 68 % ce qui, malheureusement en raison de la pandémie, est inférieur à l'année dernière (Rapport du Forum économique mondial de 2021). En outre, la différence de salaire entre hommes et femmes reste importante puisqu'elle s'élève à 16,8 % en France (Institut national de la statistique et des études économiques, données collectées et utilisées de 2017). Pour vous donner une idée de ce que cela signifie : si les femmes gagnent 16,8 % de moins que les hommes, alors en 2020, elles travailleront pratiquement gratuitement à partir du 4 novembre. Et il existe de nombreux autres exemples similaires.

Bien que les femmes n'aient pas atteint l'égalité dans le monde du travail, pour le moment, je voudrais également souligner certaines évolutions récentes positives qui montrent que nous allons dans la bonne direction en matière d'intégration des femmes ; Cette année, 56 % des membres de la Cour constitutionnelle allemande sont des femmes, ce qui montre une représentation égale pour l'une des fonctions juridiques les plus élevées auxquelles un juge peut aspirer. En outre, la Cour pénale internationale a vu sa première femme nommée présidente en 2017, ce qui est l'un des titres les plus prestigieux que l'on puisse acquérir dans la sphère internationale. Bien que nous ayons constaté une importante sous-représentation des femmes sur le marché du travail, en 2020, 50,1 % des titulaires de certificats juridiques en exercice dans le monde étaient des femmes. Cela signifie que les femmes ont réussi à intégrer un domaine qui était auparavant essentiellement dominé par les hommes (Rapport statistique annuel de la Law Society of England and Wales).

Enfin, dans des pays tels que Dubaï, qui ont adopté une approche relativement conservatrice à l'égard des femmes dans leur société par le passé, la contribution des femmes est de plus en plus importante. Cette année, l'écart entre les sexes au parlement a été entièrement comblé dans l'ensemble des Émirats arabes unis (Rapport mondial sur l’écart entre les femmes et les hommes du Forum économique mondial ). Bien que le nombre total de femmes occupant des postes de direction soit encore assez faible dans certains pays, si l'on prend mon exemple, des femmes occupent les postes les plus élevés de certaines entreprises. Par exemple, notre bureau de Dubaï est dirigé par une femme associée et son équipe est composée d'un nombre égal de femmes et d'hommes. Ce qui devrait être considéré comme un indicateur positif que nous nous dirigeons dans la bonne direction.

Cependant, aujourd'hui, je voudrais me concentrer sur les aspects sur lesquels nous, les femmes, pouvons avoir un contrôle, sur les moments encourageants qui, je crois, m'ont aidée dans mon propre parcours et que je voudrais partager avec d'autres femmes actives.

Je pense que les éléments clés d'une carrière réussie en tant que femme sont l'engagement, la coopération, le courage de convaincre et l'individualisme.

L'engagement est un élément clé car il témoigne de la volonté de réussir. Comme pour toute chose dans la vie, il est important de ne pas perdre de vue l'objectif à atteindre. Le chemin sera toujours parsemé d’embûches, que ce soit du fait de la discrimination sexuelle ou simplement du fait de l’environnement compétitif dans lequel on se trouve. Dans tous les cas, il est très important de se concentrer sur la poursuite de ses objectifs. Lorsque je travaillais chez EY et actuellement chez Rödl & Partner, j'ai fait l'expérience d'un environnement concurrentiel féroce, où quiconque voulait réussir devait travailler dur et s'engager pleinement dans ce qu'il faisait. Il n'y a pas d'autre moyen pour acquérir des clients.

Un autre élément important est la coopération et l'individualisme. La coopération concerne l'approche que l'on a de son travail. Il y a différentes façons d'aborder les problèmes dans le milieu professionnel, et je suggère qu'au lieu d'essayer de se comporter comme les hommes, on devrait profiter des avantages liés au fait d'être une femme. Il ne s'agit pas de prouver que les deux sexes sont identiques, ni de savoir si un sexe est supérieur à l'autre. Les deux sexes apportent de grands atouts et chaque entreprise peut et doit en tirer profit. En fait, des études ont montré que les entreprises dont le conseil d'administration est plus diversifié ont tendance à obtenir de meilleurs résultats que les entreprises où les femmes sont moins représentées. Par exemple, selon une étude publiée par le Credit Suisse Research Institute, entre 2010 et 2016, les entreprises comptant au moins une femme parmi leurs administrateurs ont enregistré une meilleure performance boursière.

D'une manière générale, je considère que la diversité permet de créer des ponts entre tous les types de différences qui peuvent exister dans le milieu professionnel, ce qui est particulièrement pertinent à une époque où la mondialisation rend indispensable la collaboration avec différents interlocuteurs. Nous devons reconnaître les avantages des qualités diverses et collaborer avec nos collègues pour nous compléter mutuellement. Toutefois, la coopération n'est pas seulement requise par les femmes, le lieu de travail doit également coopérer avec nous, ce qui n'est malheureusement pas toujours le cas.

Si le manque actuel d'intégration des femmes est un obstacle, une autre question cruciale, que nous, les femmes, maîtrisons est de ne pas prendre le rôle de "la femme". Les femmes ont exactement les mêmes qualités intellectuelles que les hommes, voire mieux encore. En particulier dans le milieu de l'entreprise, un élément clé est le contenu et les compétences que l'on apporte et ceux-ci fonctionnent indépendamment de notre sexe. Ces attributs sont l'expression de notre personnalité, de nos capacités d'empathie et de notre éducation. En fin de compte, c'est sur cela que les femmes, tout comme les hommes, devraient s'appuyer car c'est ce qui les rend précieux pour une entreprise.

Ceci m'amène à l'élément d'individualisme. Il se peut que nous partagions certaines caractéristiques biologiques uniquement avec les personnes qui ont le même sexe que nous, mais à l'échelle professionnelle, nous sommes avant tout nous-mêmes. Comme je l'ai déjà mentionné, les attributs que j'apporte sont uniquement les miens et comme je ne me suis jamais considérée comme Nicola Lohrey la femme mais plutôt comme Nicola Lohrey l'avocate ou l'être humain, la plupart de mes collègues ont fait de même. Je pense qu'il est essentiel de ne pas se montrer condescendant dès le départ et de ne pas s'auto-attribuer des attentes et des règles de comportement d'une femme qui pourraient entraver votre réussite professionnelle par la suite. Cela dit, il existe une certaine pression de la société qui fait croire aux femmes qu'elles doivent assumer davantage de responsabilités à la maison, travailler à temps partiel pour les enfants, etc. Selon une étude réalisée par le département thématique des droits des citoyens et des affaires constitutionnelles de l’UE, cette situation est étroitement liée aux structures patriarcales ancrées dans certaines cultures. Ce n'est pas simple d'aller à l'encontre de ces attentes mais c'est à cela que peut ressembler le féminisme d'aujourd'hui. Donner l'exemple et normaliser l'égalité des sexes en la vivant. Et un autre élément accessoire peut être le réseau de soutien dont vous disposez grâce à votre famille et à vos amis, ainsi que les opportunités qui vous sont offertes par les personnes de votre profession. Je me considère chanceuse d'avoir eu une structure de soutien stable dans ma famille et d'avoir eu l'occasion de montrer tout mon potentiel.

Last but not least, cela nous amène au dernier élément, le courage. Pour réussir en tant que femme chef d'entreprise, il faut avoir le courage d'assumer des responsabilités, de se lancer des défis et d'avoir une solide confiance en soi. Le manque de confiance et l'absence d'équilibre entre vie professionnelle et vie privée sont les obstacles les plus fréquemment signalés à la parité hommes-femmes au travail. La vérité c'est que nous devons croire que nous pouvons occuper des postes de direction, et que nous devons prendre la responsabilité d'accéder à ces postes. Je crois que l'activisme d'aujourd'hui consiste à vivre la vérité que vous souhaitez voir devenir réalité partout. Après avoir travaillé pendant 15 ans chez Ernst and Young, j'ai relevé un nouveau défi et changé de cabinet d'avocats. Chez Rödl & Partner, j'ai approfondi mes compétences en matière d'entrepreneuriat en développant les bureaux français en fonction des besoins de nos clients, mais surtout j'ai assumé davantage de responsabilités au travail, et bien que cela m'ait semblé intimidant au début, je crois que c'est en relevant ces grands défis que j'ai pu devenir associée gérante.

C'est pourquoi j'essaie personnellement d'encourager autant que possible les jeunes femmes, et pas seulement dans la sphère de droit, par exemple en proposant des programmes de mentorat personnel chez Rödl & Partner et en entretenant des relations avec nos collègues au-delà des structures hiérarchiques.
Comme nous savons que la diversité présente de grands avantages, nous avons l'intention de créer un environnement de travail qui nécessite une représentation égale des femmes et des hommes, ainsi qu'une diversité en matière de langue, de nationalité et d'âge. Notre bureau d’avocats à Paris est composé de 50 % de femmes et près de 70 % de nos associés sont des femmes. Pour situer les choses, le nombre moyen de femmes occupant des postes de direction en France est de 34,6 %. En outre, il est très rare de constater une augmentation du pourcentage de femmes occupant des postes plus élevés. Pour finir, l'avenir s'annonce prometteur puisque nos nouveaux stagiaires en droit qui ont récemment rejoint Rödl & Partner sont presque tous des femmes.

Malheureusement, en Allemagne, nous n'avons que 25,6 % de femmes associées. Nous avons atteint une représentation presque égale dans le domaine du conseil fiscal puisque nous avons 46 % de femmes parmi nos associés. Malheureusement, dans les domaines de la déclaration fiscale, du conseil en informatique et de l'audit, la représentation est inférieure à ce que nous souhaiterions, ce qui se traduit par un résultat total plutôt insatisfaisant. Sur ce point, je voudrais m'adresser aux femmes intéressées par ces sujets : nous avons besoin de vous et nous aimerions vous voir à ces postes.
Au niveau mondial, Rödl & Partner a également l'intention d'accroître la diversité des genres. Bien que le degré d'inclusion dans les postes d'associés ne soit pas aussi élevé que nous le souhaiterions, nous avons un pourcentage relativement élevé de femmes associées. Alors que d'autres grands cabinets d'avocats tels que Allen&Overy, Clifford Chance, Linklaters et Clearly Gottlieb comptent entre 25 et 40 % de femmes parmi leurs associés, nous sommes fiers de pouvoir dire que nos associés sont composés de 45 % de femmes. Il en va de même pour les membres de notre conseil d'administration. Actuellement, 29 % des membres du conseil d'administration, moi y compris, sont des femmes. Nous aimerions en voir davantage ; toutefois, la moyenne des États membres de l'OCDE est de 25,6 % et nous sommes heureux de maintenir une représentation féminine supérieure à la moyenne ici aussi.

D'une manière générale, l'intégration des femmes est une chose que nous encourageons chez Rödl & Partner. Bien que nous n'ayons pas encore atteint l'égalité absolue dans tous les domaines, nous continuons à nous efforcer de créer davantage d'opportunités pour les femmes.

C'est un chemin qu'il nous reste encore à parcourir, mais je suis convaincue que nous continuerons à travailler ensemble pour atteindre cet objectif impératif.
Je vous remercie.